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Valery
Grancher, Concetto Nazionale,
6.05.2007. Liquitex on canvas.
130 x 97 cm
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6
nov. 2008 - 22:42
Suite
à son exposition à la
galerie Incognito (du 23 septembre au 19 octobre),
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Art and You a
souhaité en savoir plus sur Valery Grancher, pionnier du Net
art.
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Vous
vous êtes
fait connaître grâce à Internet, qui
reste toujours
au cœur de votre pratique artistique.
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A
l’époque,
vous étiez considéré comme un artiste
du Net art.
Qu’en est-il maintenant ?
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Où
vous situez-vous par
rapport
au Net art ?
Le Net art a
été un mouvement anarchiste et
spontané, monté par une bande de copains, qui
à
l’époque, n’ambitionnait pas
d’être dans
le monde de l’art. On utilisait des
références
artistiques sur le Net pour tourner en ironie ce qui se passait
à l’époque dans le monde de
l’art. Puis notre
pratique au travers des échanges avec Vuk
Cosic, Olia Lialina, Jodi, etc.,
a commencé à devenir de plus en plus «
arty
». On s’est pris au jeu, on est devenu de plus en
plus
sérieux. On avait ouvert une porte, il fallait
l’assumer.
Je me suis senti responsable, et j’ai beaucoup
travaillé
sur la promotion du Net art dans le monde institutionnel.
C’est
comme ça que j’ai réalisé la
première
vente à la Fondation
Cartier, dès fin
1997. En 1998,
j’ai entamé des négociations avec le Berkeley
Art
Museum Pacific Film Archive pour
une expo personnelle.
Ca
commençait à tourner très
sérieusement.
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Dès 1998, une
forme d’académisme du Net art
est née. Des artistes de seconde
génération
reprenaient la notion de quiz par email, remplaçaient une
question par une autre alors que nous l’avions fait pendant
trois
ans. Ca nous a donné un reflet négatif, qui nous
a
poussé à déclarer la mort du Net art
en 1998.
Pour
nous, le Net art, c’était
une énergie. C’était performatif, un
mouvement qui
n’avait pas de pérennité. On a
poussé la
réflexion jusqu’au bout et on s’est dit
«
voilà, c’est fini ». D’autant
plus qu’au
départ Internet était un terrain libre, et
qu'à
partir de 1998 c’est devenu une galerie marchande. Le Net art
« découverte des Amériques »
où tout
était vierge et où on était des
trappeurs,
c’était fini. Tout s’est
officialisé,
c’est devenu institutionnel. Les musées ont eu
leurs
sites, les galeries aussi. Ca n’avait plus vraiment de
pertinence.
Maintenant, ça fait presque dix ans qu’on est
entré
dans le XXIème siècle. Le monde tel
qu’il est
aujourd’hui ne correspond nullement à ce
qu’il
était au milieu des années 90. Et donc
aujourd’hui
faire des jeux d’écran en html ou en java, ou des
animations flash, ça ne veut plus dire grand chose. Il faut
dépasser ce travail.
Internet
est certes à l’origine
de ma reconnaissance, mais ce n’est qu’un outil
parmi
d’autres. Et vu que je maîtrisais
déjà
d’autres médias, j’ai
continué à faire
des installations vidéo, au même titre
qu’étant peintre, en 1998, il m’est venu
l’idée d’hybrider la peinture et
Internet.
Différents Net artistes ont commencé à
hybrider le
virtuel et le physique ; c’est ce qui
m’intéresse
aujourd’hui.
Le
web painting n’est donc pas du
Net art.
En
effet, le web
painting
assume l’héritage du Net art, mais ce
n’est plus
vraiment du Net art. C’est une sorte de
continuité, au
même titre que Fluxus par exemple. Robert Rauschenberg
faisait
des performances, des ombres sur des toiles blanches, avec John Cage
notamment. Ils ont hybridé leur travail pour en faire
quelque
chose de nouveau. Et moi, venant de la peinture, ce qui me paraissait
important c’était justement de dépasser
mon
travail, et de dépasser aussi la peinture en
l’utilisant
comme média.
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Valery Grancher, Cursor,
2008.
Acrylique, briques de Lego: 25,5 cm x 25., cm
Parlons
un peu de
votre actualité artistique.
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Vous venez
d'exposer
à la
galerie Incognito vos nouvelles créations, et notamment des
sculptures à partir de Lego.
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Que
représentent ces
œuvres, et pourquoi des Lego ?
C'est totalement
nouveau et ce sera très bref. C'est
un travail très ponctuel par rapport à un moment,
une
époque, et un lieu. Pourquoi le jeu de Lego ? Tout
simplement
parce qu'on est à l'époque du Web 2.0.
En
novembre 2007, Google, Myspace, Facebook,
et quelques autres ont signé une convention pour normaliser
des
standards exploitables par tous les réseaux sociaux. Ca
passe
par la standardisation de brick logiciels,
développés sur
une architecture très précise, basée
sur du Java.
Pour
simplifier, le Web 2.0, c'est comme un
jeu de légo. Ce sont des briques que l'on assemble et que
l'on
standardise.
Il
se trouve que cette année, c'est
le cinquantenaire des jeux Lego. J'y ai joué gamin, et quand
on
m'a demandé de faire une exposition à la galerie Incognito,
qui est un tout petit lieu,
j'ai pensé à faire un petit format. Cette galerie
elle-même est considérée comme
l'unité
minimale de ce que peut être une galerie : pas de galeriste,
une
carte à puce pour rentrer, le strict minimum pour la
déambulation d'une personne entre quatre murs. C'est aussi
une
pièce Lego de ce que peut être une galerie.
Vous
utilisez souvent des
médiums assez classiques (la peinture et la sculpture), en
rapport avec quelque chose de beaucoup plus technologique (Internet et
les techniques informatiques).
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Que voulez-vous signifier
dans ce
rapport entre médiums classiques et technologiques ?
Aujourd'hui,
on n'est plus dans la
modernité, on n'est plus dans la post modernité,
on n'est
plus dans la notion de révolution et de rupture. On assume
un
héritage qui va au-delà du XXème
siècle.
Si on prend l'exemple de Koons
à Versailles, on se
rend compte qu'il crée dans une
référence qui n'est pas celle du XXème
siècle. Son vocabulaire est
référencé sur
une forme d'art baroque qu'il connaît très bien.
Le homard
de la salle de Mars et la salle rouge du dieu de la guerre, font
écho au portrait de Louis XIV qui se trouve
derrière, sa
cuirasse de guerre comme la carapace d'un homard. Dans la
pièce,
une nature morte représente un homard. Ce sont des liens qui
se
créent et dépassent l'art contemporain.
Cette hybridation du classique et de l'ultra-technologique renvoie pour
moi à quelque chose de très précis
dans la
tradition qui peut remonter jusqu'à la Renaissance, avec
notamment les travaux de Piero della Francesca, la mise en perspective,
la réflexion sur la représentation
mathématique du
monde.
Aujourd'hui,
nous sommes dans une
période de synthèse. C'est ça qui
m'intéresse. Certes, une google painting c'est une peinture,
réalisée de manière assez classique,
mais
néanmoins en tant qu'objet-peinture, c'est troublant. Et
c'est
toute ma préoccupation.
Pourquoi
n'est-on plus dans la
modernité ? Parce que justement il n'y a plus de projection
dans
le futur, on est dans le présent. Et pourquoi n'y a-t-il
plus de
projection dans le futur ? On le voit bien, on n'est plus à
l'époque des futuristes où il y avait des
perspectives
d'évolution technologique, idéologique,
politique, le
programme d'un monde meilleur. Aujourd'hui, on se demande «
qu'a-t-on fait au monde ? ». Toutes les utopies ont
été abattues. Toutes les barrières,
tous les
fantasmes scientifiques sont devenus concrets, et finalement on se
recentre sur l'humain et l'émotion. La XXIème
siècle est devenu beaucoup plus religieux. On n'a jamais vu
une
présence catholique aussi forte en France, au même
titre
que dans les pays du Maghreb la présence musulmane n'a
jamais
été radicalisée. Ca se durcit de tous
les
côtés. Le monde change dans ce sens, et moi
ça me
questionne.
Entre
le XXème et le
XXIème siècle, on observe un changement dans
votre
pratique artistique, moins immatérielle, un autre regard sur
le
monde. Quel a été le facteur
déclenchant ?
Je
vais dire quelque chose d'assez new age,
mais tant pis. Je le dis parce que c'est quelque chose que j'ai
vécu et qui a été un
révélateur.
J'ai terminé ma première google painting le 10
septembre
2001. Je vernissais le 11 septembre 2001 à Los Angeles. Or,
le
11 septembre à Los Angeles à 8h du matin, nous
avons
été évacués de
façon violente du
centre ville de Los Angeles, en nous disant que nous étions
bombardés, que c'était Pearl Harbour. J'ai
atterri devant
une télé où j'ai vu les tours se
prendre le
deuxième avion et le tout s'écrouler en temps
réel.
Quand
je suis arrivé à New
York en novembre, j'habitais à un block de ground zero et il
y
avait des odeurs de viande grillée qui flottaient dans l'air
en
permanence. Ca a été un choc parce que pour moi,
le 11
septembre a été le syncrétisme, la
collusion de
deux choses : de l'archaïsme le plus violent et de la
technologie
la plus radicale. Des objets High-Tech, détournés
de
façon totalement archaïque avec des cutters, sont
devenus
des bombes qui ont fait s'effondrer un système financier. Ce
repli archaïque très brutal est devenu pour moi le
symbole
d'une nouvelle forme de terrorisme. Et à partir de ce moment
là, je me suis énormément
questionné sur
mon travail. A l'époque, je n'avais qu'une pratique
virtuelle.
Je commençais à peine à hybrider avec
le physique.
C'est là que j'ai ressenti le besoin de penser un projet
plus
vaste à l'échelle de la planète.
[Valéry
Grancher, Arctic
vanitas, Acrylic and plastic
skull on svalbard reindeer fur 155 x 220 x 150 mm.
...
Dans cet
esprit, vous travaillez sur un triptyque : trois voyages, trois
aventures.
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Vous
avez déjà
été en Haute
Amazonie et à 800 kilomètres du pôle
nord.
-
Il
vous
reste à affronter le toit du monde, le mont Everest. Que
vous
apportent ces expériences ?
Avec
ce triptyque, je pose la
question des limites de notre monde. Aujourd'hui, il n'y a plus de
périphérie, tout est dans tout. Quand on va en
Equateur,
on pense être au delà de l'Occident. Mais au
delà
de l'Occident, ils ont le Web, et ils ont Google map. Et quand on pense
être au sommet du monde, on se trouve dans un hyper occident
où toutes les nations sont présentes à
s'observer
en chien de faïence pour savoir qui va forer le premier. La
grande
hypocrisie, c'est de dire qu'on surveille la fonte des glaces. En
réalité, toutes ces nations sont là
pour planifier
les investissements et la logistique pour forer. Ce sont tous ces
paradoxes qui se mettent en route ; on voit les archaïsmes les
plus violents cohabiter avec l'évolution technologique la
plus
radicale.
Vous
travaillez souvent à partir de medias classiques pour
exprimer
quelque chose de beaucoup plus technologique.
-
Mais,
pour ce triptyque,
vous avez inversé le mouvement.
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Notamment
dans la
forêt
amazonienne, vous êtes parti de la civilisation
première
pour vous pencher sur la technologie comme moyen de diffuser la
pensée.
C'est
exactement ça. Les
peuples premiers, qu'on prend pour des peuples archaïques, ne
le
sont absolument pas. Ils ont une connaissance de leur
biodiversité incroyable. La communauté fonctionne
selon
un mécanisme très fin. Au moment où
l'on cherche
une manière de vivre en écologie avec le monde,
un
modèle existe déjà. C'est pour cette
raison que
ça me semblait important de les visiter. D'autant plus
qu'eux,
ayant conscience de ça, se sont
médiatisés sur
Internet et commencent à avoir une visibilité
internationale. Ils adoptent les outils les plus modernes sans remettre
en question leur mode de vie. Ils ne sont plus en dehors de l'Occident,
ils sont occidentalisés à leur façon.
Mon travail questionne ça, parce que j'utilise les medias
les
plus anciens pour faire des choses en rapport avec les technologies.
C'est un parti pris volontaire. Et je ne veux pas rentrer dans le
propos erroné qui dit « nouvel outil, nouvelle
forme d'art
». Les gens ne changent rien à leur mode de vie
quand un
nouvel objet technologique, tel que Facebook ou le
téléphone portable, arrive. Le jeu des
références évoluant, on a une nouvelle
manière de s'exprimer.
Et
l'Everest,
c'est prévu pour quand ?
L'Everest
c'est encore au stade du
fantasme. Il y a plusieurs obstacles, et notamment l'obstacle
budgétaire.
Justement,
comment faites-vous pour réunir les fonds
nécessaires
à ce genre d'expéditions ?
J'ai
eu beaucoup de chance parce
que le Palais de Tokyo
a manifesté la
volonté de produire le « Shiwiars Project
». Il y a
aussi eu une sélection pour le projet polaire, et j'ai
été choisi. Pour l'Everest, il n'y a rien de tout
ça, et il faut que je trouve les fonds moi-même.
C'est
très compliqué parce que le budget est cinq fois
plus
important, il faut réunir 150'000 €. Un premier de
cordée n'aura pas de mal à trouver des sponsors,
un
artiste c'est différent.
Le
deuxième écueil
est purement physique. La préparation physique est
très
difficile, il y a un très haut facteur de
dangerosité. Je
sais que je suis capable d'aller à 5'000 mètres
sans
masque parce que je l'ai fait en Equateur. Mais au delà de
ça je n'en sais pas plus. Je vieillis, si je mets trop de
temps
à le faire je n'aurai plus les capacités
physiques. Je ne
connais pas l'issue et je n'ai pas de date. Mais si je trouve un
sponsor demain, je le ferai.
Avez-vous
pensé à une exposition globale pour
présenter les
œuvres résultant de ces voyages, voire, dans un
premier
temps, celles du diptyque ?
Aujourd'hui,
les pièces ont
toujours été montrées de
manière
isolée ou groupée, mais toujours sur un segment.
J'aimerais bien monter une exposition qui rassemblerait toutes ces
pièces là, mais je n'ai pas encore
trouvé de lieu.
Le marché de l'art étant ce qu'il est, les
galeries sont
dans des considérations de plus en plus commerciales. Elles
ne
montrent que mes peintures, tandis que les musées montrent
moins
mes peintures, mais plus mes objets et mes installations. Ca se
partitionne bien, et donc pour rassembler les deux, c'est
compliqué. C'est à
réfléchir...
Valéry Grancher, Dioxine,
C-print on altuglass. 2008.
Courtesy de l'artiste
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